Boris Vian face à la Mort
Boris Vian, seul sur scène :
Je possède mille visages, et mille univers. Je suis l’homme aux mille vies.
Par le langage je transforme notre univers, modifie ses lois physiques et métriques. Mais ma plume devient bien dérisoire depuis quelques temps. Je ne peux plus opposer la force inventive des mots à celle, destructive, de la maladie. Ecrire est aussi vain que combattre un nénuphar dans une cage thoracique. La vie me rattrape, que dis-je, la mort est là à ma porte. Elle m’attend tout en se montrant présente, perverse comme le chat qui déroule sa queue pour arracher la tête de la souris.
C’est ce soir la première de « J’irais cracher sur vos tombes » au cinéma. On a le culot de m’y inviter alors que l’on m’a écarté du projet. Ils ont dû vouloir massacrer mon œuvre d’une manière si majestueuse qu’ils préfèrent garder la surprise.
Je sens les prémices du saccage de tout ce que j’ai construit. Ils vont tuer mon ouvrage et m’assassiner par la même occasion.
Je ne vais pas me voiler la face, je ne suis plus à même de me battre pour défendre mon roman, ma santé ne me le permet plus. Mon corps s’affaiblit de jour en jour et je sais que le tourbillon de ma vie va bientôt prendre fin….
La trompette, l’écriture, le jazz, les femmes, l’amour, la fête, la vie à cent à l’heure. Il n’y a que ça qui vaille la peine de se lever chaque matin… ou de ne pas se coucher de la nuit ! Vivre vite, avant de mourir vite. Ce n’est pas facile de se dire chaque matin que nous mourrons plus vite que certains, mais pour ma part, j’ai vécu mille vies, sans compromission. La passion pour la musique et la littérature, l’amour de mon ourson, Ursula, m’ont rendu plus vivant que quiconque…
Je quitterai ce monde sans regret, car j’ai choisi ma vie, sans jamais me laisser aliéner.
Je mourrai ce soir, ce soir horrible, dans ce cinéma où l’on va cracher sur mon œuvre, je mourrai entouré de gens qui penseront à une dernière farce du Transcendant Satrape. Mais je mourrai seul. D’ailleurs, « Quoi de plus seul qu’un mort? Mais quoi de plus tolérant? Quoi de plus adapté à sa fonction? de plus libre de toute inquiétude? » Finalement « un mort, c’est bien, c’est complet, ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet quand on n’est pas mort ».*
Enchaînement avec « Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale »
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